Site icon LaNouvelleSam

Être journaliste en Guadeloupe : un rêve tenace, une réalité exigeante

Le journalisme a été mon rêve.
Il a aussi été ma blessure professionnelle la plus profonde.
Mais il est surtout devenu ma façon d’exister.

Stécy Lancastre

Il y a dix ans, j’ai cliqué sur « publier » pour la première fois. Sans le savoir, je lançais quelque chose qui allait changer ma trajectoire : un simple blog, un petit espace numérique où je pouvais enfin écrire, partager, enquêter, exister en tant que journaliste. À travers ce blog, je me suis fait connaître, doucement mais sûrement. Aujourd’hui encore, il vit — témoin de mes débuts, de mon entêtement à croire en ma place dans ce métier.

En 2018, j’ai publié plus de 100 portraits d’entrepreneurs antillais sur lanouvellesam.com, ils sont encore en ligne, plus vivants que jamais.
Chaque lundi, une nouvelle success story.
Des vies discrètes, des idées brillantes, des chemins courageux.
Et le public répondait : jusqu’à 10 000 lecteurs pour un seul profil.

Cette reconnaissance-là, je ne l’oublierai jamais

Mais comme beaucoup de journalistes, j’ai nourri un autre rêve : celui de la télévision. Raconter l’actualité avec ma voix, mon regard, entrer dans les foyers, faire plus qu’informer — accompagner. Ce rêve m’a portée longtemps. Je m’y suis accrochée avec la ferveur de ceux qui refusent d’abandonner.

Je me souviens très bien de ce soir-là en 2007.
TF1, le générique du journal télévisé, puis sa voix.
Harry Roselmack apparaissait à l’écran, avec cette présence solide, assurée, indiscutable. Le premier journaliste noir à présenter le JT sur la première chaîne française. Pour beaucoup, un symbole. Pour moi, une révélation. Je voulais être là, exactement là où il se tenait : devant la caméra, face au pays, portant la parole de ceux qu’on n’entend pas. J’avais trouvé ma voie. Elle avait un visage. Elle avait un ton.
Elle avait un nom : journaliste.

J’ai poursuivi mes études avec ardeur. Je me suis accrochée même quand le doute essayait de me grignoter. Les nuits blanches, les devoirs, les recherches d’alternances qui se sont tous sans exception soldées par des refus. Jusqu’à ce moment où l’on me remet ce diplôme tant attendu, un Master en Journalisme, qui semblait murmurer : « Tu as ta carte d’entrée. » Je remercie mes parents qui se sont sacrifiés en cassant la tirelire pour me payer cette formation.

Alors j’ai frappé aux portes. Des petites. Des plus grandes.
Parfois, on ne me répondait même pas.
Parfois, on me disait d’attendre. Toujours attendre.

Puis un jour, on m’a dit oui.
France-Antilles Guadeloupe. La rédaction papier. J’étais journaliste. Pour de vrai.

Caroline, la rédactrice en chef de l’époque m’ouvre la porte.
J’entre dans le journal papier.
Je vis le métier dans sa forme la plus pure : terrain, bouclage, encre, responsabilités.

Je me disais :
Tout commence ici.

Je découvrais le terrain, les habitants, les problématiques de mon île — notre île. Je racontais la vie, l’injustice, la beauté souvent oubliée. Je croyais que ce serait suffisant pour me hisser vers le sommet de mon rêve.

Je n’avais pas choisi un métier de confort, mais je pensais tout de même y trouver un avenir plus clair. Chez nous, rien n’est simple dans ce métier : peu de rédactions, peu de postes, une profession où l’on entre rarement sans piston ou sans renoncer à une partie de soi-même.

Alors je me suis jetée dans le numérique. Les réseaux, l’instantanéité, la pression d’un monde qui dévore l’information avant même de l’avoir comprise. Je suis devenue la plume de l’ombre, celle qu’on appelle quand il faut écrire vite et bien, celle dont on reprend parfois les mots sans même citer le nom.

Et pourtant, mon nom circule.
Tapez-le sur internet : mes articles apparaissent, mes enquêtes, mes collaborations avec des médias spécialisés.
La preuve que j’existe.
Que je suis là.
Que j’ai travaillé, beaucoup.

Mais un jour, je découvre autre chose : mes textes ont été volés.
Publiés ailleurs.
Revendus même.

Je tombe sur une facture.
Une facture où l’on marchande ma pensée, mon talent, mon temps.
J’ai eu mal.
Mal à l’âme.
J’ai senti qu’on m’arrachait un morceau de moi.
Dans ce métier, nos mots sont notre capital le plus précieux — et le plus fragile.

Et malgré toutes ces cicatrices professionnelles, mon rêve d’antenne continuait de brûler. J’attendais un signe, une opportunité, un plateau, un micro, une lumière qui dirait : “viens, c’est ton tour.”

Mais les années ont passé.
J’ai eu 32 ans.
Et j’ai dû accepter une réalité que je refusais de regarder en face :

Papa et maman, je ne présenterai sans doute jamais le JT
Pas ici. Pas dans ce paysage médiatique minuscule où les carrières se jouent sur une seule chaise.

J’ai longtemps cru que cela faisait de moi une journaliste inachevée.
Une professionnelle qui n’avait pas atteint son objectif, celle qui restait en bas de l’échelle qu’elle avait rêvée de gravir.

Les opportunités sont si rares qu’elles deviennent des mythes.
On attend, on espère, on se heurte.
Et parfois, on finit par comprendre que
ce n’est pas nous qui sommes insuffisants :
c’est le système qui est minuscule.

J’ai longtemps pensé que renoncer à ce rêve, c’était échouer.

Ce constat n’a pas été une défaite. Plutôt une métamorphose. On ne renonce pas à être journaliste juste parce qu’un format nous échappe. Ce métier, je le porte en moi. Je l’ai exercé dans l’ombre, dans l’indépendance, avec peu de moyens mais avec la même passion que dans les plus grandes rédactions.

Pierre-Édouard et Célia Picord.
Deux noms, une famille professionnelle.
Les premiers à m’avoir fait confiance sur des enquêtes, des vraies, celles qui demandent du courage, de la méthode, de la loyauté à la vérité. Dix ans qu’ils me donnent l’occasion d’écrire mon nom dans l’histoire du journalisme d’investigation guadeloupéen.
Et ça, ça n’a pas de prix.

Et maintenant, que deviens Stécy, la journaliste ?

Depuis six ans, je travaille pour la collectivité de Vieux-Habitants.

J’y suis entrée grâce à mes compétences et aussi à mon amour pour ma ville natale que je valorise à chaque occasion. J’y ai créé de toutes pièces le tout premier magazine municipal de la ville son ton, son rythme, son rôle dans la vie des habitants. le dernier numéro juste ici.
J’ai aussi donné une voix numérique à la commune à travers les réseaux sociaux.

Informer autrement.
Informer pour relier.
Informer pour servir.

C’était une forme de journalisme qui parlait directement à ceux que je croise tous les jours dans la rue. Et ça, c’est une fierté rare.
Certains appellent ça « quitter le journalisme ».
Moi, j’appelle ça exercer autrement.

Créer le magazine municipal,
le penser, le structurer, le rédiger,
le défendre comme un vrai média au service des habitants.

Développer une stratégie digitale.
Construire la voix d’une ville.
Informer d’une autre manière.

Ça, c’est du journalisme social.
Du journalisme citoyen.
Et du journalisme extrêmement utile.

Je suis fière de ce que j’y fais.
Très fière.

Et au cœur de tout cela, depuis 2015, il y a LaNouvellesam.
Mon blog.
Mon terrain libre.
Mon média à moi.

Et tant qu’il me restera un clavier,
un lecteur,
une histoire à raconter,

je continuerai d’être celle que je suis depuis longtemps,
celle que j’ai refusé d’abandonner :

journaliste.

Quitter la version mobile